L'affiche de la journée d'étude du 4 février

Journée d'étude de l'Association de la Cause freudienne Val de Loire - Bretagne à Angers
L'AUTORITÉ N'EST PLUS CE QU'ELLE ÉTAIT,
À CHACUN DE L'INVENTER
SAMEDI 4 FÉVRIER 2012 / 9h-18h
à la Faculté de Droit, d'Économie et de Gestion d'Angers




> Thierry Noir face au mur de Berlin : une « subversion créatrice » face à l’autorité, par Jérémie Retière
© Stéphane Compoint
© Stéphane Compoint
© Stéphane Compoint

Berlin, avril 1984. Thierry Noir, jeune français installé tout près du mur depuis 2 ans, est le premier à prendre le risque de braver les soldats est-allemands en osant peindre le mur avec un ami. Un acte politique dangereux - le mur étant construit sur le territoire est-allemand, cinq mètres en retrait de la frontière. Mais pas seulement. L’autorité arbitraire de l’État totalitaire est-allemand le mène à cette « subversion créatrice »1 comme nécessité. « J'ai commencé à peindre le mur pour ne pas devenir fou, dit-il. C'était une sorte de réaction physique et impulsive contre ce qui pour moi n'était rien d'autre qu'une machine à tuer, un crocodile rôdeur [la figure menaçante de son enfance] qui n'attendait que le moment propice pour attraper sa proie. Il fallait être créatif et le rester pour survivre à la situation d’isolation artificielle et une certaine schizophrénie créées par le mur. Cela n’était pas du tout une démarche intellectuelle mais plutôt une impression de faire quelque chose pour ne pas devenir mélancolique ou sombrer dans la dépression, la Berliner Krankheit (la maladie de Berlin). » Thierry Noir trouve dans la création artistique l’invention singulière qui fera autorité pour lui face à cette figure qui s’impose comme menace réelle, impossible à supporter, « non pour embellir ce monstre sanglant mais pour le démythifier », pour le détruire.

Bientôt les personnages naïfs et flamboyants de Noir feront aussi autorité pour les Berlinois, qui y voient l'expression d’une liberté retrouvée, trace de la possibilité d’un désir nouveau. Les Berlinois s’interrogent, s’intéressent : « Un murmure se faisait entendre. Les grands formats colorés, des grandes fresques pleines de couleurs apportaient un changement dans ce quartier de Berlin (Kreuzberg). Il fallait toujours peindre et expliquer en même temps. » À la suite de Noir, d’autres se mettent à peindre le mur, de plus en plus nombreux. « C'était interdit d'y peindre. On aurait pu se faire arrêter. Il fallait travailler le plus rapidement possible. Deux idées, trois couleurs et on mélange le tout. Mon style est venu de cette technique. Je faisais une bouche, un œil, un nez et des contours noirs par-dessus. Il s'agissait d'une peinture au kilomètre, qui permettait de peindre des surfaces considérables en un temps record. » Avec les années et l’expérience, les peintures de Noir prennent des proportions considérables et son œuvre est reconnue par la communauté artistique internationale. Jusqu’à inspirer Wim Wenders pour une scène de son film, bien nommé : Les Ailes du désir, dans laquelle la peinture de Noir fait voir pour la première fois au personnage du film le monde en couleurs.

Ironie d’un système autoritaire qui se veut sans faille, « c'est la perfection du mur qui a précipité sa chute, dit Thierry Noir. De 1961 jusqu'au milieu des années 1970, le mur était fait d'un béton poreux qui absorbait la peinture. À partir de 1976, ils ont mis au point un système de Légo géant coulé dans un béton armé composé de granulite de silicate. Ce nouveau matériau était idéal pour peindre.»2


Une portion du mur de 1,3 km resta intacte de par sa situation géographique, en bordure immédiate du fleuve. Inaccessible pour les Berlinois de l'ouest, elle ne fut donc pas peinte à cet endroit et resta grise jusqu'au début de l'année 1990. Après la chute du mur, cette portion servit alors, sur son pan est, de support à un projet artistique de grande ampleur : la East Side Gallery, dont nous avons fait notre affiche pour cette journée d’étude. Ce sont ainsi plus de 100 artistes de nationalités diverses, dont Thierry Noir évidemment, qui furent invités à peindre cette partie du mur entre mai et octobre 1990. Subvertir encore l’instrument d’une autorité révolue. 


1 Lacan J., « Les complexes familiaux », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 59.
2 extraits d’interviews de Thierry Noir, à retrouver sur son site : www.galerie-noir.de